médicament | Child A | Child B | Child C |
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Apixaban | Sécuritaire, ajustement de dose non requis | Utiliser avec précaution, ajustement de dose non requis | Absence de données |
Dabigatran | Sécuritaire, ajustement de dose non requis | Utiliser avec précaution, ajustement de dose non requis | Absence de données |
Édoxaban | Sécuritaire, ajustement de dose non requis | Utiliser avec précaution, ajustement de dose non requis | Absence de données |
Rivaroxaban | Sécuritaire, ajustement de dose non requis | Non recommandé | Non recommandé |
Les patients cirrhotiques présentent un risque accru de complications thrombotiques et hémorragiques en raison des anomalies intrinsèques dans les mécanismes de la coagulation chez cette population. (O’Leary 2019) Ces altérations touchent les trois phases de l’hémostase : l’altération de la synthèse des facteurs de coagulation, la thrombocytopénie, le dysfonctionnement plaquettaire et l’augmentation de la fibrinolyse (Tableau 1). (Tripodi 2011) En présence d’insuffisance hépatique, la diminution de la production de facteurs anticoagulants endogènes (protéines C et S, antithrombine III) ainsi que l’élimination réduite du facteur de von Willebrand (vWF) peuvent contribuer à l’état procoagulant global de ces patients. La thrombocytopénie qui se présente chez cette population est associée à la diminution de la production de thrombopoïétine au niveau du foie, à la suppression de la moelle osseuse et à la séquestration augmentée des plaquettes dans la rate. La synthèse des facteurs de coagulation produits au niveau du foie est également réduite, ce qui entraîne une prolongation du temps de prothrombine (PT) et du temps de céphaline activée (aPTT). (Elhosseiny 2019) Bien que la prolongation de ces temps de saignement observée en insuffisance hépatique suggère un état « d’auto-anticoagulation », il est erroné de croire que ces patients ont un état hémostatique net en faveur du saignement. La plupart des événements hémorragiques chez le patient avec cirrhose sont plutôt liés à l’hypertension portale ou à une intervention effractive thérapeutique ou diagnostique plutôt qu’à un événement hémorragique spontané. On reconnaît maintenant que la cirrhose est un état fragile de la coagulation qui comporte un risque accru de thrombose et de saignement.
Phase de l’hémostase | Changements procoagulants | Changements anticoagulants |
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Hémostase primaire : agrégation plaquettaire | Élévation du facteur de von Willebrand Baisse de l’ADAMTS13 |
Thrombocytopénie |
Coagulation | Baisse de la synthèse de protéine C, protéine S et antithrombine Taux élevés de facteur VIII |
Baisse de la synthèse de fibrinogène et des facteurs II, V, VII, IX, X, XI |
Fibrinolyse | Baisse de la synthèse de plasminogène, taux élevés de PAI | Taux élevés de t-PA et faibles de TAFI et d’inhibiteur de la plasmine |
ADAMTS13: a disintegrin and metalloprotease with thrombospondin type I repeats-13, PAI: plasminogen activator inhibitor, TAFI: thrombin activatable fibrinolysis inhibitor; t-PA: activateur tissulaire du plasminogène. |
Étant donné que les anticoagulants oraux directs (AOD) peuvent se surajouter au risque de saignement déjà présent chez les patients cirrhotiques, leur utilisation devrait se faire avec un suivi de la fonction hépatique, du décompte plaquettaire et selon le profil clinique du patient. De même, il serait pertinent d’envisager le dépistage de varices oesophagiennes chez les patients à risque de saignement avant de débuter un AOD. (Qamar 2018) Chez les patients avec un antécédent récent de saignement majeur, une coagulopathie active ou présentant un risque hémorragique accru, la sélection de l’agent anticoagulant doit évidemment être individualisée.
Malgré toutes ces considérations, plusieurs petites études rétrospectives ont démontré que les AOD avaient une efficacité similaire ou supérieure à celle de la warfarine même en présence d’une insuffisance hépatique légère ou modérée. (Intagliata 2016)(Hum 2017)(Lee 2019) À cet effet, les AOD pourraient être considérés chez les patients souffrant de cirrhose dans la prise en charge des indications suivantes : A) Prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC) chez les patients atteints de fibrillation auriculaire (FA) (apixaban, dabigatran, édoxaban, rivaroxaban) ; B) Traitement et prévention de la thromboembolie veineuse (TEV) [thrombose veineuse profonde (TVP) et embolie pulmonaire (EP)] (apixaban, dabigatran, édoxaban, rivaroxaban) ; C) Prévention de la TEV à la suite d’une arthroplastie de la hanche ou du genou (apixaban, dabigatran, rivaroxaban). L'utilisation des AOD est faiblement étudiée dans le cas de thrombose de la veine porte, par exemple, et il faut se référer à un expert avant d'envisager d’en débuter un. Il est aussi à noter que les patients ayant subi une procédure d’installation de shunt intra-hépatique par voie transjugulaire (TIPS) ne sont pas ciblés par les recommandations contenues dans cette fiche, car l’usage des AOD n’a pas été évalué chez cette population. Il est important de garder en tête que ces séries rétrospectives tendant à supporter l’utilisation des AOD en cirrhose comportent probablement un biais de sélection puisqu’il est vraisemblable que les patients inclus avaient à la base un profil clinique faisant qu’ils étaient à faible risque hémorragique. Il faut aussi noter que ces études ont fréquemment utilisé une stratégie de réduction des doses d’AOD pour diminuer le risque hémorragique. Bien que cette stratégie ait un intérêt clinique évident a priori, il n’est pas dit qu’elle puisse être hasardeuse chez des patients avec un fardeau thrombo-embolique important chez qui une anticoagulation potentiellement infra-thérapeutique peut être délétère.
Étant donné les limitations des études observationnelles et le risque de désordres intrinsèques dans les mécanismes de coagulation, la warfarine et les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) demeurent les molécules avec le plus de données cliniques supportant leur usage chez les patients cirrhotiques.
Absorption | Comprimés à libération immédiate (Graff 2013, Byon 2019) : Administration répétée de 2,5 mg 2 f.p.j per os (monographie) Dose unique de 5 mg per os (Frost 2013) Insuffisance hépatiqueChild A et B : Dose unique de 5 mg per os (Frost 2009) Ratio ASC0–∞ (cirrhotique/sujet sain) : |
Distribution | (Byon 2019, monographie) Insuffisance hépatique(Byon 2019) Dose unique de 5 mg per os (Frost 2009) |
Métabolisme | (Graff 2013) Insuffisance hépatiqueAbsence de données |
Élimination | (Graff 2013, Byon 2019) Dose unique de 5 mg per os (Byon 2019) Dose unique de 10 mg per os (Byon 2019) Insuffisance hépatiqueAbsence de données |
Recommandations de la monographie |
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Apixaban est contre-indiqué dans les cas d’hépatopathie s’accompagnant de coagulopathie et d’un risque d’hémorragie d’importance clinique. Apixaban n’est pas recommandé dans les cas d’insuffisance hépatique sévère. Apixaban doit être utilisé avec prudence chez les patients présentant une insuffisance hépatique légère ou modérée (classe A ou B de Child Pugh). Dans les divers essais cliniques, les patients présentant un taux d’enzymes hépatiques anormalement élevé [ALT/AST à plus de 2 fois la limite supérieure de la normale (LSN) ou bilirubinémie égale ou supérieure à 1,5 fois la LSN)] étaient exclus. Par conséquent, apixaban doit être utilisé avec prudence chez ces patients. |
Dans le résumé de Frost et collaborateurs, une dose unique d’apixaban 5 mg par voie orale a été administrée à 16 patients souffrant de cirrhose (8 Child A et 8 Child B) et à 16 volontaires sains afin d’évaluer si les propriétés pharmacocinétiques du médicament étaient influencées par la cirrhose. L’ASC0–∞ du médicament était légèrement augmentée de 1,03 et 1,09 fois chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère ou modérée par rapport aux sujets sains. Les résultats rapportés pour la Cmax ont été similaires. (Frost 2009) La liaison aux protéines de l'apixaban était respectivement de 93 et 92 % chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère et modérée (fu : 7,1 % et fu : 6,8 % respectivement). Ces résultats étaient comparables à ceux obtenus pour les patients sains (liaison aux protéines : 93% et fu : 7,9 %). (Frost 2009 ; Byon 2019). Bien que le ratio normalisé international (RNI) de base chez les patients cirrhotiques était plus élevé que celui des sujets sains, le taux de variation par rapport au niveau de base semblait similaire pour les différents groupes à l’étude. Les effets indésirables n’étaient pas rapportés. (Frost 2009)
Dans l’étude observationnelle de Intagliata et collaborateurs, l’innocuité des AOD chez 39 patients atteints de cirrhose avec une thrombose de la veine splanchnique (TVS), une TEV non splanchnique ou souffrant de FA a été comparée à l’anticoagulothérapie traditionnelle (antagoniste de la vitamine K ou HBPM). Parmi les patients cirrhotiques, 20 patients ont reçu un AOD (rivaroxaban ou apixaban) et 19 participants ont reçu une ordonnance de warfarine ou d’HBPM. La durée moyenne de l’anticoagulothérapie était de 267 jours chez les patients sous AOD et de 478 jours chez les participants recevant un anticoagulant conventionnel. (Intagliata 2016) Dans le groupe traité par AOD, 11 patients ont reçu de l’apixaban et 9 patients ont reçu du rivaroxaban. Il est indiqué que 18 et 21 de ces patients souffraient d’une cirrhose Child A et Child B respectivement, mais il n’est pas précisé quelle molécule et quelle dose étaient administrés selon le stade de la maladie. Les causes de cirrhose documentées étaient : l’alcool (~13 %), la stéatose hépatique non alcoolique (~33 %), virale (~15 %) et autres (~38 %). Parmi les patients traités avec un AOD, la majorité de patients (75 %) ont reçu une dose thérapeutique (apixaban 5 mg BID) et 25 % ont été traités avec une dose prophylactique (apixaban 2,5 mg BID). (Intagliata 2016) Le profil d’innocuité des AOD était similaire à celui de l’anticoagulothérapie classique chez les patients atteints de cirrhose. Trois événements hémorragiques sont survenus dans le groupe traité par anticoagulation traditionnelle par rapport à quatre événements dans le groupe traité par AOD. Bien que la durée moyenne de l’anticoagulothérapie ait été plus courte chez les patients sous AOD (267 jours) comparativement aux patients traités par un anticoagulant conventionnel (478 jours), ce facteur de risque prédictif des saignements n’a pas été documenté comme étant statistiquement significative (p = 0,2). Concernant les saignements majeurs, ils ont été documentés chez 11 % des patients de la cohorte traditionnelle (un épisode fatal d’hémorragie intracrânienne et un événement non-fatal de saignement rétropéritonéal) comparativement à 5 % des patients traités par AOD (un épisode non-fatal d’hémorragie intracrânienne). Le score Child-Pugh des patients ayant saigné n’était pas rapporté. Aucune atteinte hépatique d'origine médicamenteuse n’a été observée durant l’étude. Les récurrences d’épisodes thromboemboliques ou de progression de thrombose n’étaient pas rapportés dans l’étude. (Intagliata 2016)
Une autre étude de cohorte rétrospective a évalué l’efficacité et l’innocuité des AOD chez 45 patients cirrhotiques avec une TEV ou souffrant de FA comparativement à l’anticoagulothérapie traditionnelle. Parmi les patients cirrhotiques, 27 participants ont reçu un AOD (rivaroxaban ou apixaban) et 18 patients ont reçu la warfarine ou une HBPM. La durée moyenne de l’anticoagulothérapie était de 319 jours (± 289 jours) chez les patients sous AOD et de 574 jours (± 498 jours) chez les patients recevant un anticoagulant conventionnel. (Hum 2017) Dans le groupe traité par AOD, 10 patients ont reçu de l’apixaban et 17 du rivaroxaban. La plupart des patients souffraient d’une cirrhose Child A et B (18 et 21 respectivement) et seulement 6 patients présentaient une cirrhose Child C. Il n’a pas été précisé quelle molécule et quelle dose étaient administrés selon le stade de la maladie. Les causes de cirrhose documentées étaient : l’alcool (~24 %), la stéatose hépatique non alcoolique (~8 %), virale (~35 %) et autres (~38 %). Tous les patients sous un AOD ont reçu une dose thérapeutique d’apixaban (5 mg BID avec ou sans dose de charge de 10 mg BID). (Hum 2017) Bien que le profil d’innocuité des AOD était similaire à celui de l’anticoagulothérapie conventionnelle chez les patients cirrhotiques, les événements hémorragiques étaient significativement moins importants dans le groupe traité par AOD. Dix épisodes hémorragiques sont survenus dans le groupe traité par anticoagulation traditionnelle par rapport à huit épisodes dans le groupe traité par AOD. Concernant les saignements majeurs, ils ont été documentés chez 28 % des patients de la cohorte traditionnelle comparativement à 4 % des patients traités par AOD. (Hum 2017) Bien que le nombre de saignements gastro-intestinaux soit comparable dans les deux groupes (4 dans cohorte traditionnelle vs 5 dans AOD), trois hémorragies intracrâniennes ont été documentées dans l'anticoagulation classique, mais aucune chez les patients traités par AOD. Comparée à l’anticoagulothérapie traditionnelle, les AOD avaient un délai plus long entre le début du traitement et un événement hémorragique majeur. Toutefois, il est important de noter que les auteurs ne précisent pas si les saignements majeurs dans le groupe anticoagulation traditionnelle sont survenus chez des patients sous anti-vitamine K avec un RNI suprathérapeutique. Il est à retenir que le taux de survenu de saignements dans le groupe AOD est rassurant. En ce qui concerne l’efficacité du traitement, le taux de thrombose récurrente était similaire entre les groupes à l’étude (un épisode dans chaque groupe). Aucun AVC ou progression de la TVP n’a été observé durant l’étude. (Hum 2017)
Dans une série de cas de 94 patients dont 36 souffraient de cirrhose, des AOD ont été prescrits pour le traitement entre autres d’une TVS, une thrombose de la veine porte ou pour la prévention des AVC chez les patients souffrant de FA. Environ 6 patients ont reçu l’apixaban. (De Gottardi 2017) Les causes de cirrhose documentées étaient : l’alcool (28 %), la stéatose hépatique non alcoolique (22 %), le virus de l’hépatite C (17 %) et autres (33 %). Le score moyen de Child-Pugh était de 6 (intervalle de 5 à 8) avant et après le traitement anticoagulant. De même, le score MELD n'a pas changé significativement, passant de 10,2 à 11,3 points. La majorité des patients cirrhotiques avaient été initialement traités avec la warfarine. La durée médiane du suivi était de 15 mois chez les patients souffrant de cirrhose comparativement à 26,5 mois chez les sujets non-cirrhotiques (De Gottardi 2017) Bien que les indications de l’anticoagulation étaient similaires chez les patients avec ou sans cirrhose, les patients cirrhotiques ont reçu des doses plus faibles d’AOD (apixaban 5 mg ; plage 2,5 - 10 mg/jour) comparativement aux patients non cirrhotiques (apixaban 7,5 mg ; plage 5 - 10 mg/jour). Parmi les patients souffrant d’insuffisance hépatique, seulement 36 % ont reçu la dose thérapeutique recommandée d'anticoagulant, contrairement à 71 % des patients non cirrhotiques. Des effets indésirables ont été rapportés chez 17 % des patients, dont 1 cas de thrombose de la veine porte récidivante et 5 cas de saignement (hémorragies gastro-intestinales). (De Gottardi 2017) Les AOD ont été cessés chez 2 patients qui ont saigné et ont été remplacés par une HBPM. Malgré les limitations de cette étude, les auteurs concluent que l'utilisation des AOD (y compris l’apixaban) chez les patients atteints de TVS et/ou de cirrhose semble être efficace et sécuritaire.
Scheiner et collaborateurs ont évalué l'impact de l’anticoagulation dans la régression de la thrombose de la veine porte ainsi que dans l’amélioration de l’inflammation et la fonction hépatique chez 51 patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. Dans cette étude rétrospective, 10 patients dont 3 cirrhotiques ont été traités avec des AOD (y compris l’apixaban) pour une TVS. La cause principale de la cirrhose des patients inclus dans l’étude était l’abus d’alcool (47,1 % des patients). Bien que les proportions des scores Child chez les patients avec cirrhose étaient bien distribuées (14 Child A, 19 Child B et 18 Child C) au diagnostic de la TVS, le score Child-Pugh des patients recevant chacun des AOD n’était pas précisé. Parmi les patients traités par AOD, 30 % ont reçu l'apixaban (5 mg BID). (Scheiner 2018) Le passage à un AOD été entrepris majoritairement afin de prévenir la progression de la TVS et d'améliorer la microcirculation splanchnique, intestinale et hépatique. L’évaluation de l’efficacité des AOD par rapport à l’anticoagulothérapie traditionnelle n’a pas été réalisée. Au cours de la durée du traitement (suivi médian de 9,2 mois), aucun événement hémorragique (saignement secondaires à une gastropathie hypertensive portale) n’est survenu dans le groupe sous anticoagulothérapie conventionnelle, tandis qu’un épisode hémorragique est survenu chez les patients traités par AOD. Concernant l’efficacité des AOD, la régression ou résolution de la thrombose de la veine porte a été rapportée chez 20 % des patients sous AOD (2 patients) et la thrombose de la veine porte est demeurée stable chez 80 % des patients de ce sous-groupe (8 patients). Étant donné que l’anticoagulothérapie (y compris les AOD) semble sécuritaire et associée à des taux supérieurs de régression ou résolution de la thrombose de la veine porte, tout en améliorant l’inflammation et la fonction hépatique, les auteurs concluent que l’utilisation de l’anticoagulation peut être envisagée chez les patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. (Scheiner 2018)
Dans le résumé de Kunk et collaborateurs, l’utilisation des AOD a été évaluée de manière rétrospective pour toutes les indications confondues. Au total, 69 patients cirrhotiques ont été inclus dans leur analyse (l’indication de l’anticoagulation était la FA pour 22 patients et les événements thromboemboliques pour 47 patients). L’âge médian était de 73 ans, 77 % des patients étaient de sexe masculin et les étiologies les plus communes de la cirrhose était la stéatose hépatique non-alcoolique (66 %) et le virus de l’hépatite C (22 %). Le stade de la cirrhose était de Child A pour 33 patients, Child B pour 26 patients et Child C pour 10 patients. Il est intéressant de noter que 52 % des patients présentaient des varices oesophagiennes. Trente sept patients (54 %) ont reçu de l’apixaban. La dose n’était pas rapportée et la sévérité de la cirrhose de ce sous-groupe n’était pas précisée. La durée médiane de l’anticoagulation était de 6 mois. Concernant l’efficacité de la thérapie, aucun patients recevant un AOD en contexte de FA n’a souffert d’événement thromboembolique. Pour les patients traités pour une TEV, il y a eu résolution de l'événement dans 81 % des cas. En contrepartie, chez 13 % des patients, le caillot est demeurée inchangé et dans 6 % des cas il y a eu progression du caillot à de l’imagerie de contrôle. Pour ce qui est de l’innocuité, 16 patients ont souffert d’une hémorragie, dont 8 cas d’hémorragie de grade 3 ou plus (principalement des cas d’hémorragies gastro-intestinales, ainsi qu’un cas d’hématome sous-dural). Aucun saignement variciel n’a été observé au cours de l’étude. Les cas de saignement majeurs ont été rapportés chez des patients souffrant de cirrhose modérée à sévère [4 cas chez des patients Child B (15 % des patients Child B) et 4 cas chez des patients Child C (40 % des patients Child C)]. Dans ces cas, 5 patients prenaient de l’apixaban. Aucune atteinte hépatique d'origine médicamenteuse n’a été observée durant l’étude. Les auteurs concluent que l’utilisation des AOD devraient se faire avec précaution chez les patients souffrant d’insuffisance hépatique modérée et sévère étant donné le risque hémorragique associé. (Kunk 2016)
Dans une autre étude rétrospective, Lee et collaborateurs ont évalué l'efficacité (survenu d’un AVC ischémique ou d’une embolie systémique) et l'innocuité (épisodes d’hémorragie intracrânienne, de saignement gastro-intestinal majeur et/ou de tous les types de saignements majeurs) des AOD, y compris l’apixaban, comparativement à la warfarine chez des patients cirrhotiques souffrant de FA. La durée moyenne du suivi était de 1,13 ans pour les patients recevant un AOD comparativement à 1,3 ans pour ceux sous warfarine. (Lee 2019) Les patients ont également été divisés en deux sous-groupes selon l’étiologie de la cirrhose (alcoolique vs. non alcoolique) et le stade de la maladie (avancée vs. non avancée). Cependant, le score Child-Pugh des patients n’était pas été précisé. L’insuffisance hépatique avancée a été définie comme étant les patients cirrhotiques présentant l’une des complications suivantes : ascite, encéphalopathie hépatique, péritonite bactérienne spontanée et/ou saignements des varices œsophagiennes. Les comorbidités des patients étaient, entre autres : hypertension, diabète, dyslipidémie, insuffisance rénale chronique (IRC), insuffisance cardiaque congestive (ICC) et antécédent d’AVC. Les groupes à l’étude étaient bien équilibrés pour toutes les caractéristiques étudiées (comorbidités, scores CHA2DS2-VASc et HAS-BLED). (Lee 2019) Parmi les 2428 patients inclus dans leur analyse, 1438 ont reçu un AOD (dont 271 présentaient une cirrhose avancée) et 990 ont été mis sous warfarine (dont 143 avaient une cirrhose d’origine alcoolique et 273 présentaient une cirrhose avancée). L’analyse de sous-groupe n’a montré aucune hétérogénéité parmi les trois groupes des patients recevant différents AOD en ce qui concerne les caractéristiques de base des participants [âge, scores moyens CHA2DS2-VASc et HAS-BLED, comorbidités à l’exception de l’IRC, histoire des saignements, utilisation d’un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) et/ou d’un inhibiteur de la pompe à protons (IPP)]. Au total, 27 % des utilisateurs d’un AOD avait déjà pris la warfarine. Environ 171 patients ont reçu l’apixaban, dont 118 ont pris une dose réduite (apixaban 2,5 mg BID), alors que 53 ont pris la dose standard (apixaban 5 mg BID). Ainsi, la majorité des patients (69 %) ont reçu une dose d’apixaban plus faible que celle recommandée pour la prévention de l’AVC et de l’embolie systémique chez les patients présentant une FA sans risque accru d’hémorragie (soit, apixaban 5 mg BID).
Dans le groupe des patients traités par apixaban, l’âge moyen était de 75,36 ans ; 55,56 % étaient de sexe masculin ; les scores moyens CHA2DS2-VASc et HAS-BLED étaient de 3,98 et de 3,9 respectivement ; 4,68 % avaient un antécédent de saignement ; 30,99 % et 19,88 % prenaient un AINS et un IPP respectivement. (Lee 2019) Le risque cumulatif d’AVC ischémique ou d’embolie systémique était similaire pour les patients recevant un AOD comparativement à ceux sous warfarine. L’incidence annuelle de ces paramètres d’efficacité était de 3,2 % et de 3,7 % chez les patients recevant un AOD et la warfarine respectivement. Les risques d’hémorragie gastro-intestinale majeure et les saignements majeurs de toute cause étaient significativement plus faible chez les patients traités par un AOD comparativement à ceux recevant la warfarine [HR = 0,51 (IC 95 % : 0,32 – 0,79) et HR = 0,51 (IC 95 % : 0,32 – 0,74) respectivement)]. L’incidence annuelle de saignement gastro-intestinal majeur et de tous les saignements majeurs était de 1,9 % et de 2,9 % respectivement dans le groupe recevant un AOD. En comparaison, ces paramètres d’innocuité était significativement plus élevés chez les patients sous warfarine (3,6 % par année et 5,4 % par année, respectivement). Cependant, l’incidence annuelle d’hémorragie intracrânienne était comparable entre les patients traités par un AOD (1 %) et ceux recevant la warfarine (1,6 %). (Lee 2019) Chez les patients présentant une cirrhose d’origine alcoolique, les risques d’événements thrombotiques et de saignements majeurs dans le groupe sous AOD étaient comparables à ceux de la warfarine. Cependant, les patients souffrant d’une cirrhose d’origine non-alcoolique et recevant un AOD avaient un risque plus faible de saignement gastro-intestinal majeur (HR = 0,40 ; IC 95 % : 0,24 – 0,68) et d’hémorragies majeures (HR = 0,45 ; IC 95 % : 0,29 – 0,69) que ceux prenant de la warfarine. En ce qui concerne le stade de la maladie hépatique, les patients présentant une cirrhose non avancée sous AOD avaient un risque moins élevé de saignement gastro-intestinal majeur (HR = 0,45 ; IC 95 % : 0,26 – 0,78) et d'hémorragies majeures (HR = 0,51 ; IC 95 % : 0,33 – 0,79) que ceux sous warfarine. En revanche, chez les patients présentant une cirrhose avancée, il a aussi été noté que le groupe traité par un AOD avait un risque plus faible d’hémorragie intracrânienne (HR = 0,17 ; IC 95 % : 0,03 – 0,96) par rapport au groupe sous warfarine. Étant donné que le profil d’efficacité des AOD (y compris l’apixaban) était similaire à celui de la warfarine et que les événements hémorragiques majeurs étaient significativement moins importants dans le groupe traité par AOD, les auteurs concluent qu’une thromboprophylaxie avec une faible dose d’apixaban peut être envisagée chez les patients cirrhotiques souffrant de FA non valvulaire, particulièrement chez ceux présentant une insuffisance hépatique sans complications et d’origine non alcoolique. Cependant, ils indiquent que des études prospectives supplémentaires sont nécessaires pour mieux évaluer l'efficacité et l'innocuité des AOD (y compris l’apixaban) comparativement à la warfarine dans la population cirrhotique. (Lee 2019)
Les données concernant l’utilisation d’apixaban en présence d’insuffisance hépatique légère ou modérée semblent rassurantes, mais sont peu abondantes. Plusieurs détails sont manquant dans les études rétrospectives évaluant l’efficacité et l’innocuité. De plus, l’utilisation de l’apixaban à long terme ne semble pas avoir été étudiée convenablement chez cette population. Aucun ajustement posologique ne semble nécessaire chez les patients de Child A ou Child B en raison de l’impact minime sur les paramètres pharmacocinétique de la cirrhose à ces stades. Sur la base des quelques données et des propriétés pharmacodynamiques de la molécule, il semble que l’apixaban soit l’AOD à privilégier chez les patients cirrhotiques Child Pugh B chez qui on désire prescrire une de ces molécules. (Weinberg 2019) Cependant, il est recommandé de faire preuve de précaution chez cette population, particulièrement si le taux d’enzymes hépatiques est anormalement élevé (ALT/AST > 2 x LSN ou bilirubinémie ≥ 1,5 x LSN). En raison des données limitées et des préoccupations concernant les anomalies de la coagulation en présence de cirrhose modérée, un suivi plus serré de signes/symptômes de saignements pourrait donc être recommandé.
Étant donné que l’usage de l'apixaban n’a pas été évalué adéquatement chez les sujets présentant une insuffisance hépatique sévère (Child - Pugh C) et que des désordres intrinsèques dans les mécanismes de la coagulation sont généralement présents chez cette population, l’utilisation de l’apixaban est à éviter chez les patients Child - Pugh C en attendant la publication de données à ce sujet.
Le risque hémorragique doit évidemment être évalué pour chaque patient en fonction de ses caractéristiques et comorbidités. Il faut se rappeler que l’antidote de l’apixaban n’est pas disponible au Canada pour le moment et qu’il n’est donc pas possible de renverser efficacement et prévisiblement son effet en présence d’un saignement.
Absorption | Capsules à libération immédiate (Qamar 2018) : Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) Insuffisance hépatiqueChild A : absence de données Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) |
Distribution | Capsules à libération immédiate (Qamar 2018) : Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) Insuffisance hépatiqueChild A : absence de données Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) |
Métabolisme | Capsules à libération immédiate (Qamar 2018) : Métabolisme hépatique via CYP 450 : non. Métabolites actifs : oui Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) Insuffisance hépatiqueChild A : absence de données Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) |
Élimination | Capsules à libération immédiate (Qamar 2018) : t1/2 (h) : 12 à 17 Élimination hépatobiliaire : 20 % Élimination rénale : 80 % (85 % de la dose excrétée dans les urines sous forme inchangé) Excrété dans les fèces à 6 % Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) Insuffisance hépatiqueChild A : Absence de données Dose unique de 150 mg per os (Stangier 2008) |
Recommandations de la monographie |
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Il n’existe aucune donnée sur les patients présentant une atteinte hépatique grave (Child-Pugh C), une hépatopathie aiguë ou un taux d’enzymes hépatiques ≥ 2 fois la LSN. Par conséquent, l’utilisation de dabigatran n’est pas recommandée chez ces patients. |
Dans l’étude de Stangier et collaborateurs, une dose unique de dabigatran etexilate 150 mg par voie orale a été administrée à 12 patients souffrant de cirrhose Child B et à 12 volontaires avec fonction hépatique normale afin d’évaluer si les propriétés pharmacocinétiques du médicament étaient influencées par la cirrhose. Dans les deux groupes à l’étude, le dabigatran etexilate (promédicament) a été rapidement absorbé et converti en dabigatran (forme active). Cependant, la biotransformation du dabigatran etexilate en forme active a été réduite chez les patients cirrhotiques, ce qui indique que les estérases hépatiques sont partiellement impliquées dans l’activation du promédicament. La capacité de glucuronoconjugaison était maintenue en cirrhose modérée. Les Cmax de dabigatran et l’ASC0–∞ étaient légèrement inférieures (mais non statistiquement significatives) chez les patients atteints de cirrhose Child B (↓ 30 % de Cmax ; ↓ 5,6 % de l’ASC0–∞) comparativement aux sujets sains. (Stangier 2008) La liaison aux protéines était légèrement augmentée d’environ 5,7 % en présence d’insuffisance hépatique. Chez les patients souffrant de cirrhose modérée, la demi-vie d’élimination du médicament (11,8 h) et sa clairance rénale (63,1 mL/min) étaient similaires à celles chez les sujets sains (11,5 h et 65,2 mL/min respectivement). (Stangier 2008) Malgré la prolongation du PT chez les patients cirrhotiques, les paramètres pharmacodynamiques [aPTT, temps de coagulation de l'écarine (ECT), temps de thrombine (TT)] du dabigatran n'ont pas été affectés par l'insuffisance hépatique modérée. D’après les auteurs, la sensibilité du RNI au Dabigatran était augmenté probablement en raison de la maladie hépatique sous-jacente. (Stangier 2008) Les effets secondaires rapportés (maux de dos, céphalées, érythème) étaient d'intensité légère à modérée et aucun n'a été considéré comme étant lié au médicament à l'étude. Les auteurs concluent que les patients souffrant d’une cirrhose modérée pourraient recevoir du dabigatran en faisant preuve de précaution. (Stangier 2008)
Dans une série de cas de 94 patients dont 36 souffraient de cirrhose, des AOD ont été prescrits pour le traitement, entre autres, de TVS ou de thrombose de la veine porte ou pour la prévention des AVC chez les patients souffrant de FA. Environ 11 % des patients cirrhotiques ont reçu le dabigatran. (De Gottardi 2017) Les causes de cirrhose documentées étaient : l’alcool (28 %), la stéatose hépatique non alcoolique (22 %), le virus de l’hépatite C (17 %) et autres (33 %). Le score moyen de Child-Pugh était de 6 (intervalle de 5 à 8) avant et après le traitement anticoagulant. De même, le score MELD n'a pas changé significativement, passant de 10,2 à 11,3 points. La majorité des patients cirrhotiques avaient été initialement traités avec la warfarine. La durée médiane du suivi était de 15 mois chez les patients souffrant de cirrhose comparativement à 26,5 mois chez les sujets non-cirrhotiques (De Gottardi 2017) Bien que les indications de l’anticoagulation étaient similaires chez les patients avec ou sans cirrhose, les patients cirrhotiques ont reçu des doses plus faibles des AOD (dabigatran 110 - 220 mg/jour) comparativement aux patients non cirrhotiques (dabigatran 150 - 220 mg/jour). La dose de dabigatran utilisée chez les patients cirrhotiques était moindre que l’intervalle thérapeutique habituel recommandé dans la prévention de l’AVC et de l’embolie systémique chez les patients atteints de FA (soit, dabigatran 220 - 300 mg/jour). Parmi les patients souffrant d’insuffisance hépatique, seulement 36 % ont reçu la dose thérapeutique recommandée d'anticoagulant, contrairement à 71 % des patients non cirrhotiques. Des effets indésirables ont été rapportés chez 17 % des patients, dont 1 cas de thrombose de la veine porte récidivante et 5 cas de saignement (hémorragies gastro-intestinales). (De Gottardi 2017) Les AOD ont été cessés chez 2 patients qui ont saigné et ont été remplacés par une HBPM. Malgré les limitations de cette étude, les auteurs concluent que l'utilisation des AOD (y compris le dabigatran) chez les patients atteints de TVS et/ou de cirrhose semble être efficace et sécuritaire. (De Gottardi 2017)
Scheiner et collaborateurs ont évalué l'impact de l’anticoagulation dans la régression de la thrombose de la veine porte ainsi que dans l’amélioration de l’inflammation et la fonction hépatique chez 51 patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. Dans cette étude rétrospective, 10 patients dont 3 cirrhotiques ont été traités avec des AOD (y compris le dabigatran) pour une TVS. La cause principale de la cirrhose des patients inclus dans l’étude était l’abus d’alcool (47,1 % des patients). Bien que les proportions des scores Child chez les patients avec cirrhose étaient bien distribuées (14 Child A, 19 Child B et 18 Child C) au diagnostic de la TVS, le score Child-Pugh des patients recevant chacun des AOD n’était pas précisé. Parmi les patients traités par AOD, 10 % ont reçu le dabigatran (110 mg BID). (Scheiner 2018) Le passage à un AOD était entrepris majoritairement afin de prévenir la progression de la TVS et d'améliorer la microcirculation splanchnique, intestinale et hépatique. L’évaluation de l’efficacité des AOD par rapport à l’anticoagulothérapie traditionnelle n’a pas été réalisée. Au cours de la durée du traitement (suivi médian de 9,2 mois), aucun événement hémorragique (saignement secondaires à une gastropathie hypertensive portale) n’est survenu dans le groupe sous anticoagulothérapie conventionnelle, tandis qu’un épisode hémorragique est survenu chez les patients traités par AOD. Concernant l’efficacité des AOD, la régression ou résolution de la thrombose de la veine porte a été rapportée chez 20 % des patients sous AOD (2 patients) et la thrombose de la veine porte est demeurée stable chez 80 % des patients de ce sous-groupe (8 patients). Étant donné que l’anticoagulothérapie (y compris les AOD) semble sécuritaire et associée à des taux supérieurs de régression ou résolution de la thrombose de la veine porte, tout en améliorant l’inflammation et la fonction hépatique, les auteurs concluent que l’utilisation de l’anticoagulation peut être envisagée chez les patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. (Scheiner 2018)
Dans le résumé de Kunk et collaborateurs, l’utilisation des AOD a été évaluée de manière rétrospective pour toutes les indications confondues. Au total, 69 patients cirrhotiques ont été inclus dans leur analyse (l’indication de l’anticoagulation était la FA pour 22 patients et les événements thromboemboliques pour 47 patients). L’âge médian était de 73 ans, 77 % des patients étaient de sexe masculin et les étiologies les plus communes de la cirrhose était la stéatose hépatique non-alcoolique (66 %) et le virus de l’hépatite C (22 %). Le stade de la cirrhose était de Child A pour 33 patients, Child B pour 26 patients et Child C pour 10 patients. Il est intéressant de noter que 52 % des patients présentaient des varices oesophagiennes. Sept patients (10 %) ont reçu du dabigatran. La dose n’était pas rapportée et la sévérité de la cirrhose de ce sous-groupe n’était pas précisée. La durée médiane de l’anticoagulation était de 6 mois. Concernant l’efficacité de la thérapie, aucun patients recevant un AOD en contexte de FA n’a souffert d’événement thromboembolique. Pour les patients traités pour une TEV, il y a eu résolution de l'événement dans 81 % des cas. En contrepartie, chez 13 % des patients, le caillot est demeuré inchangé et dans 6 % des cas il y a eu progression du caillot à de l’imagerie de contrôle. Pour ce qui est de l’innocuité, 16 patients ont souffert d’une hémorragie, principalement des épistaxis et des ecchymoses. Aucun saignement variqueux n’a été observé au cours de l’étude. Aucun cas de saignement majeur n’a été rapporté chez les patients recevant le dabigatran. Les auteurs concluent que l’utilisation des AOD devraient se faire avec précaution chez les patients souffrant d’insuffisance hépatique modérée et sévère étant donné le risque hémorragique associé. (Kunk 2016)
Dans une autre étude rétrospective, Lee et collaborateurs ont évalué l'efficacité (survenu d’un AVC ischémique ou d’une embolie systémique) et l'innocuité (épisodes d’hémorragie intracrânienne, de saignement gastro-intestinal majeur et/ou de tous les types de saignements majeurs) des AOD, y compris le dabigatran, comparativement à la warfarine chez des patients cirrhotiques souffrant de FA. La durée moyenne du suivi était de 1,13 ans pour les patients recevant un AOD comparativement à 1,3 ans pour ceux sous warfarine. (Lee 2019) Les patients ont également été divisés en deux sous-groupes selon l’étiologie de la cirrhose (alcoolique vs. non alcoolique) et le stade de la maladie (avancée vs. non avancée). Cependant, le score Child-Pugh des patients n’a pas été précisé. L’insuffisance hépatique avancée a été définie comme étant les patients cirrhotiques présentant l’une des complications suivantes : ascite, encéphalopathie hépatique, péritonite bactérienne spontanée et/ou saignements des varices œsophagiennes. Les comorbidités des patients étaient, entre autres : hypertension, diabète, dyslipidémie, IRC, ICC, antécédent d’AVC. Les groupes à l’étude étaient bien équilibrés pour toutes les caractéristiques (comorbidités, scores CHA2DS2-VASc et HAS-BLED). (Lee 2019) Parmi les 2428 patients inclus dans leur analyse, 1438 ont reçu un AOD (dont 271 présentaient une cirrhose avancée) et 990 ont été mis sous warfarine (dont 143 avaient une cirrhose d’origine alcoolique et 273 présentaient une cirrhose avancée). L’analyse de sous-groupe n’a montré aucune hétérogénéité parmi les trois groupes des patients recevant différents AOD en ce qui concerne les caractéristiques de base des participants (âge, scores moyens CHA2DS2-VASc et HAS-BLED, comorbidités à l’exception de l’IRC, histoire des saignements, utilisation d’un AINS et/ou d’un IPP). Au total, 27 % des utilisateurs d’un AOD avait déjà pris la warfarine. En toute, 535 patients ont reçu le dabigatran, dont 475 ont pris une dose réduite (dabigatran 110 mg BID), alors que seulement 60 ont pris la dose standard (dabigatran 150 mg BID). Ainsi, la majorité des patients (88,8 %) ont reçu une dose de dabigatran plus faible que celle recommandée pour la prévention de l’AVC et de l’embolie systémique chez les patients présentant une FA sans facteurs de risque de saignement (soit, dabigatran 150 mg BID).
Dans le groupe des patients traités par dabigatran, l’âge moyen était de 73,57 ans ; 65,98 % étaient de sexe masculin ; les scores moyens CHA2DS2-VASc et HAS-BLED étaient de 3,82 ; 4,49 % avaient un antécédent de saignement ; 24,11 % et 18,13 % prenaient un AINS et un IPP respectivement. (Lee 2019) Le risque cumulatif d’AVC ischémique ou d’embolie systémique était similaire pour les patients recevant un AOD comparativement à ceux sous warfarine. L’incidence annuelle de ces paramètres d’efficacité était de 3,2 % et de 3,7 % chez les patients recevant un AOD et la warfarine respectivement. Les risques d’hémorragie gastro-intestinale majeure et les saignements majeurs de toute cause étaient significativement plus faible chez les patients traités par un AOD par rapport à ceux recevant la warfarine [HR = 0,51 (IC 95 % : 0,32 – 0,79) et HR = 0,51 (IC 95 % : 0,32 – 0,74) respectivement)]. L’incidence annuelle de saignement gastro-intestinal majeur et de tous les saignements majeurs était de 1,9 % et de 2,9 % respectivement dans le groupe recevant un AOD. En comparaison, ces paramètres d’innocuité était significativement plus élevés chez les patients sous warfarine (3,6 % par année et 5,4 % par année, respectivement). Cependant, l’incidence annuelle d’hémorragie intracrânienne était comparable entre les patients traités par un AOD (1 %) et ceux recevant la warfarine (1,6 %). De plus, l'analyse du sous-groupe a montré que le dabigatran présentait un risque significativement plus faible de saignement majeur [2,9 % vs. 5,3 % par an ; HR = 0,54 (IC 95 % : 0,33 – 0,89)] que la warfarine. (Lee 2019) Chez les patients présentant une cirrhose d’origine alcoolique, les risques d’événements thrombotiques et de saignements majeurs dans le groupe sous AOD étaient comparables à ceux de la warfarine. Cependant, les patients souffrant d’une cirrhose d’origine non-alcoolique et recevant un AOD avaient un risque plus faible de saignement gastro-intestinal majeur (HR = 0,40 ; IC 95 % : 0,24 – 0,68) et d’hémorragies majeures (HR = 0,45 ; IC 95 % : 0,29 – 0,69) que ceux prenant de la warfarine. En ce qui concerne le stade de la maladie hépatique, les patients présentant une cirrhose non avancée sous AOD avaient un risque moins élevé de saignement gastro-intestinal majeur (HR = 0,45 ; IC 95 % : 0,26 – 0,78) et d'hémorragies majeures (HR = 0,51 ; IC 95 % : 0,33 – 0,79) que ceux sous warfarine. En revanche, chez les patients présentant une cirrhose avancée, il a été noté que le groupe traité par un AOD avait un risque plus faible d’hémorragie intracrânienne (HR = 0,17 ; IC 95 % : 0,03 – 0,96) par rapport au groupe sous warfarine. Étant donné que le profil d’efficacité des AOD (y compris le dabigatran) était similaire à celui de la warfarine et que les événements hémorragiques majeurs étaient significativement moins importants dans le groupe traité par AOD, les auteurs concluent qu’une thromboprophylaxie avec une faible dose de dabigatran peut être envisagée chez les patients cirrhotiques souffrant de FA non valvulaire, particulièrement chez ceux présentant une insuffisance hépatique sans complications et d’origine non alcoolique. Cependant, ils indiquent que des études prospectives supplémentaires sont nécessaires pour mieux évaluer l'efficacité et l'innocuité des AOD (y compris le dabigatran) comparativement à la warfarine dans la population cirrhotique. (Lee 2019)
Aucune étude concernant l’influence de la cirrhose légère sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamique du dabigatran n’ait été retrouvée dans la littérature.
Les données concernant l’utilisation du dabigatran en présence d’insuffisance hépatique légère ou modérée semblent rassurantes, mais sont très minces. Plusieurs détails sont manquant dans les études rétrospectives évaluant leur efficacité et innocuité chez les patients cirrhotiques. De plus, son utilisation à long terme ne semble pas avoir été étudiée convenablement. Aucun ajustement posologique n'est nécessaire chez les patients Child A ou Child B en raison de l’effet négligeable de la cirrhose légère ou modérée sur les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques du médicament. Cependant, il est recommandé de faire preuve de précaution chez cette population, particulièrement si le taux d’enzymes hépatiques est anormalement élevé (≥ 2 x LSN). En raison du nombre de données limitées et des préoccupations concernant les anomalies de la coagulation en présence de cirrhose modérée, un suivi plus serré de signes/symptômes de saignements pourrait donc être recommandé.
Étant donné que la pharmacocinétique du dabigatran n’a pas été évaluée chez les sujets présentant une insuffisance hépatique sévère (Child - Pugh C) et que de désordres intrinsèques dans les mécanismes de la coagulation sont généralement présentes chez cette population, l’utilisation du dabigatran est à éviter chez les patients Child - Pugh C en attendant la publication de données à ce sujet.
Le risque hémorragique doit évidemment être évalué pour chaque patient en fonction de ses caractéristiques et comorbidités. L’antidote du dabigatran (l’idarucizumab) est disponible au Canada en cas d’épisode hémorragique.
Il faut rappeler que le dabigatran est un pro-médicament devant être biotransformé par le foie avant de devenir actif. Bien que le peu de littérature ne suggère pas de diminution de formation du composé actif ou de diminution de l’efficacité du médicament, certains cliniciens pourraient être réticents à utiliser cette molécule en présence d’insuffisance hépatique et particulièrement d’hypertension portale qui peut modifier de façon importante l’effet de premier passage. L’hypertension portale peut être présente de façon importante même si les patients ont une fonction hépatique qui semble conservée (Child-Pugh A). Il faudrait faire preuve de prudence, particulièrement chez les patients présentants des voies de contournement porto-systémiques. (Graff 2013)
Absorption | Comprimés à libération immédiate (Qamar 2018) : Dose unique per os (dose non précisée dans la monographie) Dose unique de 15 mg per os (Mendell 2015) M-4 (métabolite actif) : Insuffisance hépatiqueDose unique de 15 mg per os (Mendell 2015) M-4 (métabolite actif) : Child B : M-4 (métabolite actif) : Child C : absence des données. |
Distribution | Comprimés à libération immédiate (Qamar 2018) : Dose unique de 15 mg per os (Mendell 2015) Insuffisance hépatiqueDose unique de 15 mg per os (Mendell 2015) |
Métabolisme | Comprimés à libération immédiate (Qamar 2018) : Insuffisance hépatiqueAbsence des données |
Élimination | Comprimés à libération immédiate (Qamar 2018) : Dose unique de 15 mg per os (Mendell 2015) M-4 (métabolite actif) : Insuffisance hépatiqueChild A : M-4 (métabolite actif) : T1/2 (h) : 8,7 ± 3,3 Child B : M-4 (métabolite actif) : T1/2 (h) : 8,5 ± 3 Child C : absence des données. |
Recommandations de la monographie |
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Il n’existe aucune donnée sur les patients présentant une cirrhose grave (Child-Pugh C), une atteinte hépatique s’accompagnant de coagulopathie et d’un risque d’hémorragie d’importance clinique. Par conséquent, l’utilisation de l’édoxaban n’est pas recommandée chez ces patients. Bien que l’ajustement posologique ne soit pas requis chez les patients atteints d’une insuffisance hépatique légère ou modérée, il est recommandé de faire preuve de précaution chez cette population, particulièrement si le taux d’enzymes hépatiques est anormalement élevé (ALT/AST > 2 x LSN ou bilirubinémie ≥ 1,5 x LSN). |
Dans l’étude de Mendell et collaborateurs, une dose unique d’édoxaban 15 mg par voie orale a été administrée à 16 patients souffrant de cirrhose (8 Child A et 8 Child B) et à 16 volontaires avec une fonction hépatique normale afin d’évaluer l’influence de la cirrhose sur les propriétés pharmacocinétiques du médicament et de son métabolite actif (M4). La pharmacodynamie et l'innocuité ont également été évaluées dans cette population. Les cohortes de participants sains ont été appariés adéquatement à celles de patients souffrant de cirrhose selon l’âge, le sexe et le poids. (Mendell 2015) Les étiologies les plus communes de la cirrhose étaient : l’alcool (n = 10), la maladie de Wilson (n = 4), l’hépatite autoimmune (n = 1) et le virus de l’hépatite B (n = 1). Les valeurs moyennes de clairance à la créatinine (ClCr) étaient plus faibles chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère (87,6 mL/min) comparativement aux cohortes de sujets sains (103,5 et 107 mL/min) ou ceux présentant une insuffisance hépatique modérée (114,6 mL/min). Par rapport aux participants sains, les Cmax et l’ASC0–∞ de l’édoxaban étaient légèrement diminuées de 10 % et de 4,2 % respectivement chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère. Bien qu’il ait été noté une diminution de 32 % de la Cmax du médicament chez les sujets présentant une insuffisance hépatique modérée, l’exposition totale à l'édoxaban n’était que légèrement inférieure (ASC0-∞ : ↓ 4,8 %). Le temps moyen nécessaire pour atteindre les concentrations plasmatiques maximales était comparable chez les patients souffrant d’une cirrhose Child A (tmax : 1 h) et leur cohorte saine respective (tmax : 0,75 h). Cependant, le tmax était doublé chez les patients présentant une insuffisance hépatique modérée comparativement aux participants sains. La demi-vie d'élimination de l'édoxaban était prolongée de 1 heure chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère (t1/2 : 7 h) et d’environ 1,4 heures chez ceux souffrant de cirrhose modérée (t1/2 : 7,2 h) par rapport à leur cohorte en santé respective (t1/2 : 6 h et 5,8 h). Concernant la pharmacocinétique du métabolite actif de l’édoxaban (M4), l’ASC0-t était augmentée d’environ 28 % chez les participants avec cirrhose Child A comparativement à leurs patients sains. En revanche, l’exposition totale à M4 était comparable entre les patients atteints de cirrhose modérée et leur cohorte saine respective. L’impact de la cirrhose sur le taux de fu n’a pas été rapporté. (Mendell 2015) Tel que prévu chez les patients souffrant de cirrhose, les valeurs de base moyennes de PT et aPTT étaient prolongées chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère (12,3 s et 32,5 s respectivement) ou modérée (13,3 s et 33,1 s respectivement) comparativement à leurs cohortes saines respectives. En ce qui concerne l’innocuité, la dose unique d’édoxaban a été bien tolérée dans toutes les cohortes à l’étude. Aucun décès, effet indésirable grave ou effet indésirable lié aux saignements n’a été documenté. Seulement un patient souffrant de cirrhose modéré a rapporté deux effets indésirables, dont un vomissement dans les deux heures suivant l’administration de l’édoxaban (dose reprise) et une céphalée d’intensité modérée, qui s’est résolue dans deux heures. Aucune augmentation cliniquement significative des valeurs de laboratoire n’a été documentée. Les tests de coagulation se situaient dans la plage normale et étaient similaires entre les sujets présentant une insuffisance hépatique et les participants sains. Les auteurs indiquent que l'exposition à l’édoxaban ne semble pas augmenter de manière significative chez les patients présentant une insuffisance hépatique légère ou modérée, comme suggéré par les résultats obtenus dans cette étude. Cependant, ils signalent également que l’utilisation de l’édoxaban n'est pas recommandée chez les patients présentant une cirrhose Child B ou C en raison du risque potentiel de coagulopathie sous-jacente chez ces patients. (Mendell 2015)
Scheiner et collaborateurs ont évalué l'impact de l’anticoagulation dans la régression de la thrombose de la veine porte ainsi que dans l’amélioration de l’inflammation et la fonction hépatique chez 51 patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. Dans cette étude rétrospective, 10 patients dont 3 cirrhotiques ont été traités avec des AOD (y compris l’édoxaban) pour une TVS. La cause principale de la cirrhose des patients inclus dans l’étude était l’abus d’alcool (47,1 % des patients). Bien que les proportions des scores Child chez les patients avec cirrhose étaient bien distribuées (14 Child A, 19 Child B et 18 Child C) au diagnostic de la TVS, le score Child-Pugh des patients recevant chacun des AOD n’était pas précisé. Parmi les patients traités par AOD, 40 % ont reçu l'édoxaban (3 patients : 30 mg DIE ; 1 patient : 60 mg DIE). (Scheiner 2018) Le passage à un AOD était entrepris majoritairement afin de prévenir la progression de la TVS et d'améliorer la microcirculation splanchnique, intestinale et hépatique. L’évaluation de l’efficacité des AOD par rapport à l’anticoagulothérapie traditionnelle n’a pas été réalisée. Au cours de la durée du traitement (suivi médian de 9,2 mois), aucun événement hémorragique (saignement secondaires à une gastropathie hypertensive portale) n’est survenu dans le groupe sous anticoagulothérapie conventionnelle, tandis qu’un épisode hémorragique est survenu chez les patients traités par AOD. Concernant l’efficacité des AOD, la régression ou résolution de la thrombose de la veine porte a été rapportée chez 20 % des patients sous AOD (2 patients) et la thrombose de la veine porte est demeurée stable chez 80 % des patients de ce sous-groupe (8 patients). Étant donné que l’anticoagulothérapie (y compris les AOD) semble sécuritaire et associée à des taux supérieurs de régression ou résolution de la thrombose de la veine porte, tout en améliorant l’inflammation et la fonction hépatique, les auteurs concluent que l’utilisation de l’anticoagulation peut être envisagée chez les patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. (Scheiner 2018)
Une autre étude rétrospective a évalué l’efficacité et l’innocuité de l’édoxaban dans le traitement de la thrombose de la veine porte chez 50 patients cirrhotiques comparativement à la warfarine. Tous les patients inclus dans cette étude ont initialement reçu une perfusion intraveineuse de danaparoïde sodique (2500 unités/jour) pendant deux semaines. Par la suite, le traitement a été changé par l’édoxaban (n = 20) ou la warfarine (n = 30). La durée de l’anticoagulothérapie était de 6 mois. (Nagaoki 2018) La plupart des patients souffraient d’une cirrhose Child A et B (29 et 16 respectivement) et seulement 5 patients présentaient une cirrhose Child C. Parmi les 20 patients traités par l’édoxaban, 15 étaient Child A et 5 Child B. Tous les participants souffrant de cirrhose sévère ont reçu la warfarine. Les causes de cirrhose documentées étaient : virale (66 %) et autres (34 %). Bien que dix-sept patients aient été diagnostiqués d’un carcinome hépatocellulaire, aucune invasion du canal biliaire, de la veine hépatique ou de la veine porte n’a été signalée. Dans le groupe recevant l’édoxaban, la TVP était majoritairement localisée dans le tronc principal de la veine porte (75 % des patients), suivi de la branche portale intra-hépatique chez 10 % des patients, la veine mésentérique supérieure chez 5 % et la veine splénique chez 5 %. Étant donné que 16 patients recevant l’édoxaban avaient une ClCr de 30 à 50 mL/min ou un poids corporel ≤ 60 kg, la dose d'édoxaban a été réduite de moitié à 30 mg DIE. Par conséquent, 80% des patients (n = 16) ont reçu une dose d’édoxaban réduite (30 mg DIE) tandis que seulement 20% des patients (n = 4) ont été traités par une dose standard d’édoxaban (60 mg DIE). (Nagaoki 2018) En ce qui concerne l’efficacité de l’anticoagulation après le traitement par le danaparoïde sodique, l’édoxaban administré pendant 6 mois a permis de réduire considérablement le volume médian de la thrombose de la veine porte (de 1,42 cm3 à 0,42 cm3) et de prévenir les exacerbations de la thrombose de la veine porte. En revanche, le volume médian de la thrombose de la veine porte s’est détérioré significativement (de 1,73 cm3 à 2,85 cm3) après 6 mois de traitement avec la warfarine malgré le contrôle adéquat du RNI. Par conséquent, les patients recevant l’édoxaban avaient une réponse complète significativement plus élevée que ceux sous warfarine (p <0,001). Concernant l’innocuité du traitement, les effets indésirables documentés étaient comparables entre les deux groupes à l’étude. Cinq patients ont signalé des effets indésirables de grades 3/4 (tous des saignements gastro-intestinaux) dont 3 patients recevaient l’édoxaban et 2 étaient sous warfarine. Au cours du traitement avec l’édoxaban à dose réduite (30 mg DIE), trois patients différents ont rapporté des complications hémorragiques : varices rectales (n =1), angiodysplasie de l'intestin grêle (n = 1) et polypes du côlon (n = 1). Aucune autre complication de grade 3/4 n'a été signalée. Par ailleurs, un saignement variqueux a été documenté chez deux patients traités par la warfarine. L’anticoagulothérapie orale a été cessé chez les patients présentant des saignements gastro-intestinaux. De même, chez les patients souffrant d’insuffisance hépatique Child B et C, aucun saignement gastro-intestinal ou autre effet indésirable n'a été rapporté. Les auteurs concluent que l’utilisation de l’édoxaban peut être potentiellement envisagée dans la prise en charge de la thrombose de la veine porte chez les patients cirrhotiques à la suite d’un traitement initial à base de danaparoïde sodique. (Nagaoki 2018)
Les données concernant l’utilisation d’édoxaban en présence d’insuffisance hépatique légère ou modérée semblent rassurantes, mais sont peu abondantes. Plusieurs détails sont manquant dans les études rétrospectives évaluant l’efficacité et l’innocuité chez les patients cirrhotiques. De plus, l’utilisation de l’édoxaban à long terme ne semble pas avoir été étudiée convenablement chez cette population. Bien qu’aucun ajustement posologique ne semble nécessaire chez les patients de Child A ou Child B, il est recommandé de faire preuve de précaution chez cette population, particulièrement si le taux d’enzymes hépatiques est anormalement élevé (ALT/AST > 2 x LSN ou bilirubinémie ≥ 1,5 x LSN). En raison des données limitées et des préoccupations concernant les anomalies de la coagulation en présence de cirrhose modérée, un suivi plus serré de signes/symptômes de saignements pourrait donc être recommandé.
Étant donné que la pharmacocinétique de l’édoxaban n’a pas été évaluée chez les sujets présentant une insuffisance hépatique sévère (Child - Pugh C) et que de désordres intrinsèques dans les mécanismes de la coagulation sont généralement présentes chez cette population, l’utilisation de l’édoxaban est à éviter chez les patients Child - Pugh C en attendant la publication de données à ce sujet.
Le risque hémorragique doit évidemment être évalué pour chaque patient en fonction de ses caractéristiques et comorbidités. Il faut se rappeler que l’antidote de l’édoxaban n’est pas disponible au Canada pour le moment et qu’il n’est donc pas possible de renverser efficacement et prévisiblement son effet en présence d’un saignement.
Absorption | Comprimés à libération immédiate (Qamar 2018) : Dose de 10 mg per os chez des sujets sains (monographie) Dose unique de 10 mg per os (Kubitza 2013) Insuffisance hépatiqueDose unique de 10 mg per os (Kubitza 2013) Child B : Child C : absence de données |
Distribution | (Graff 2013, monographie) Dose unique de 10 mg per os (Kubitza 2013) Insuffisance hépatiqueDose unique de 10 mg per os (Kubitza 2013) |
Métabolisme | (Graff 2013, monographie) Insuffisance hépatiqueAbsence de données |
Élimination | Comprimés à libération immédiate (Qamar 2018) : Dose de 10 mg per os chez des sujets sains (monographie) Dose unique de 10 mg per os (Kubitza 2013) Insuffisance hépatiqueDose unique de 10 mg per os (Kubitza 2013) Child B : Child C : Absence de données |
Recommandations de la monographie |
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Les patients qui présentent une hépatopathie significative (p. ex. hépatite aiguë clinique, hépatite chronique active et cirrhose du foie) ont été exclus des essais cliniques. Le rivaroxaban est donc contre-indiqué en présence d’une hépatopathie (y compris des classes B et C de Child-Pugh) associée à une coagulopathie et d’un risque d’hémorragie d’importance clinique. Selon les données limitées sur les patients qui présentent une insuffisance hépatique légère sans coagulopathie, la réponse pharmacodynamique et la pharmacocinétique sont les mêmes chez ces personnes que chez les sujets en bonne santé. |
Dans l’étude de Kubitza et collaborateurs, une dose unique de rivaroxaban 10 mg par voie orale a été administrée à 16 patients souffrant de cirrhose (8 Child A et 8 Child B) et à 16 volontaires avec fonction hépatique normale afin d’évaluer si les propriétés pharmacocinétiques du médicament étaient influencées par la cirrhose. (Kubitza 2013) L’âge moyen et l’indice de masse corporelle (IMC) moyen étaient de 54,7 ans et de 25,9 kg/m2 respectivement. Au dépistage, les valeurs moyennes de ClCr étaient plus faibles chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère (101,3 mL/min) comparativement aux sujets sains (134,5 mL/min) ou ceux présentant une insuffisance hépatique modérée (130,8 mL/min). Les participants souffrant d’une cirrhose Child A ne présentaient ni ascite ni encéphalopathie hépatique. De plus, leurs valeurs sériques moyennes d’albumine (homme/femme : 4,4 g/dL / 4,6 g/dL), de PT (homme/femme : 12,5 s / 12,4 s) et de bilirubine totale (homme/femme : 0,6 mg/dL / 0,4 mg/dL) étaient comparables à celles des sujets sains (homme/femme : 4,4 g/dL / 4,3 g/dL ; 12 s / 12,7 s ; 0,7 mg/dL / 0,5 mg/dL respectivement). Parmi les sujets souffrant d’une cirrhose Child B, cinq avaient une petite quantité d'ascite et quatre une encéphalopathie hépatique de grade I – II. De même, leurs valeurs sériques de PT et de bilirubine totale étaient plus élevées (homme/femme : 16,1 s / 15,3 s ; 1,9 mg/dL / 2,4 mg/dL) comparativement aux sujets sains et à ceux présentant une insuffisance hépatique légère. Alors que la concentration sérique d’albumine était inférieure (homme/femme : 3,4 g/dL / 3,8 g/dL) aux autres groupes à l’étude (sujets sains et ceux atteints de cirrhose Child A). (Kubitza 2013) Par rapport aux participants sains, les Cmax et l’ASC0–∞ du rivaroxaban étaient légèrement augmentées de 0,97 et de 1,15 fois respectivement chez les sujets présentant une insuffisance hépatique légère. Cependant, les Cmax et l’ASC0–∞ du médicament étaient significativement plus élevées chez les sujets présentant une insuffisance hépatique modérée (Cmax : ↑ de 1,27 fois ; ASC0–∞ : ↑ de 2,27 fois). De plus, la t1/2 était prolongée d’environ 2 heures chez les sujets souffrant d’insuffisance hépatique (Child A : 10,4 h ; Child B : 10,1 h) comparativement aux sujets sains (8 h). L’impact de la cirrhose sur le taux de fu n’a pas été constante. Le fu du rivaroxaban était respectivement de 7,9 %, 6,2 % et 8,8 % chez les participants sains, les sujets présentant une insuffisance hépatique légère et ceux présentant une insuffisance hépatique modérée. (Kubitza 2013) L’insuffisance hépatique modérée réduit la clairance du rivaroxaban. À cet effet, les valeurs moyennes de clairance totale CL/F et de CLR étaient inférieures chez les sujets présentant une insuffisance hépatique par rapport aux participants sains. L’insuffisance hépatique modérée a donc entraîné une augmentation significative de l'exposition au rivaroxaban. De plus, la réponse pharmacodynamique était significativement plus élevée chez les sujets souffrant de cirrhose Child B (prolongation de l’inhibition du facteur Xa et du PT). Concernant, l’innocuité, le rivaroxaban était bien toléré, indépendamment de la fonction hépatique. Onze événements indésirables (maux de tête, thrombophlébite, rhinopharyngite) sont survenus pendant l’étude, dont quatre (toutes les céphalées) étaient considérés comme potentiellement associés au rivaroxaban. Tous les effets indésirables étaient légers et sont disparus à la fin du traitement, sauf pour un cas de céphalée modérée. Un cas de céphalée et de thrombophlébite a été signalé chez deux patients présentant une cirrhose Child B. Aucune augmentation cliniquement significative des valeurs de laboratoire ni des signes vitaux n'a été attribuée au rivaroxaban. Les auteurs concluent que l’insuffisance hépatique légère n’a aucun impact significatif sur les concentrations plasmatiques du rivaroxaban ni sur leurs paramètres pharmacodynamiques, malgré la diminution légère de la clairance totale du médicament. Cependant, les patients présentant une insuffisance hépatique modérée ne devraient pas recevoir du rivaroxaban en raison de l'augmentation du risque de saignements secondaires aux anomalies de la coagulation en présence de cirrhose modérée. En outre, l'exposition systémique au rivaroxaban augmente considérablement chez les patients souffrant de cirrhose Child B, ce qui peut constituer un facteur de risque supplémentaire de complications hémorragiques. (Kubitza 2013)
Dans l’étude observationnelle de Intagliata et collaborateurs, l’innocuité des AOD chez 39 patients atteints de cirrhose avec une TVS, une TEV non splanchnique ou souffrant de FA a été comparée à l’anticoagulothérapie traditionnelle (antagoniste de la vitamine K ou HBPM). Parmi les patients cirrhotiques, 20 patients ont reçu un AOD (rivaroxaban ou apixaban) et 19 participants ont reçu une ordonnance de warfarine ou d’HBPM. La durée moyenne de l’anticoagulothérapie était de 267 jours chez les patients sous AOD et de 478 jours chez les participants recevant un anticoagulant conventionnel. (Intagliata 2016) Dans le groupe traité par AOD, 11 patients ont reçu de l’apixaban et 9 patients ont reçu du rivaroxaban. Il est indiqué que 18 et 21 de ces patients souffraient d’une cirrhose Child A et Child B respectivement, mais il n’est pas précisé quelle molécule et quelle dose étaient administrés selon le stade de la maladie. Les causes de cirrhose documentées étaient : l’alcool (~13 %), la stéatose hépatique non alcoolique (~33 %), virale (~15 %) et autres (~38 %). Parmi les patients traités avec un AOD, la majorité de patients (75 %) ont reçu une dose thérapeutique (rivaroxaban 20 mg DIE) et 25 % ont été traités avec une dose prophylactique (rivaroxaban 10 mg DIE). (Intagliata 2016) Le profil d’innocuité des AOD était similaire à celui de l’anticoagulothérapie classique chez les patients atteints de cirrhose. Trois événements hémorragiques sont survenus dans le groupe traité par anticoagulation traditionnelle par rapport à quatre événements dans le groupe traité par AOD. Bien que la durée moyenne de l’anticoagulothérapie ait été plus courte chez les patients sous AOD (267 jours) comparativement aux patients traités par un anticoagulant conventionnel (478 jours), ce facteur de risque prédictif des saignements n’a pas été documenté comme étant statistiquement significative (p = 0,2). Concernant les saignements majeurs, ils ont été documentés chez 11 % des patients de la cohorte traditionnelle (un épisode fatal d’hémorragie intracrânienne et un événement non-fatal de saignement rétropéritonéal) comparativement à 5 % des patients traités par AOD (un épisode non-fatal d’hémorragie intracrânienne). Le score Child-Pugh des patients ayant saigné n’était pas rapporté. Aucune atteinte hépatique d'origine médicamenteuse n’a été observée durant l’étude. Les récurrences d’épisodes thromboemboliques ou de progression de thrombose n’étaient pas rapportés dans l’étude. (Intagliata 2016)
Une autre étude de cohorte rétrospective a évalué l’efficacité et l’innocuité des AOD chez 45 patients cirrhotiques avec une TEV ou souffrant de FA comparativement à l’anticoagulothérapie traditionnelle. Parmi les patients cirrhotiques, 27 participants ont reçu un AOD (rivaroxaban ou apixaban) et 18 patients ont reçu la warfarine ou une HBPM. La durée moyenne de l’anticoagulothérapie était de 319 jours (± 289 jours) chez les patients sous AOD et de 574 jours (± 498 jours) chez les patients recevant un anticoagulant conventionnel. (Hum 2017) Dans le groupe traité par AOD, 10 patients ont reçu de l’apixaban et 17 du rivaroxaban. La plupart des patients souffraient d’une cirrhose Child A et B (18 et 21 respectivement) et seulement 6 patients présentaient une cirrhose Child C. Il n’a pas été précisé quelle molécule et quelle dose étaient administrés selon le stade de la maladie. Les causes de cirrhose documentées étaient : l’alcool (~24 %), la stéatose hépatique non alcoolique (~8 %), virale (~35%) et autres (~38%). Les auteurs rapportent que tous les patients inclus dans les sous-groupe AOD avaient reçu une dose thérapeutique de rivaroxaban (15 mg DIE avec ou sans dose de charge de 20 mg DIE). (Hum 2017) Cependant, il s’agit d’une dose de rivaroxaban plus faible que la dose thérapeutique recommandée pour la prise en charge des indications ciblées dans l’étude (TEV et FA) chez les patients sans atteinte rénale (soit, rivaroxaban 20 mg DIE). Bien que le profil d’innocuité des AOD était similaire à celui de l’anticoagulothérapie conventionnelle chez les patients cirrhotiques, les événements hémorragiques étaient significativement moins importants dans le groupe traité par AOD. Dix épisodes hémorragiques sont survenus dans le groupe traité par anticoagulation traditionnelle par rapport à huit épisodes dans le groupe traité par AOD. Concernant les saignements majeurs, ils ont été documentés chez 28 % des patients de la cohorte traditionnelle comparativement à 4 % des patients traités par AOD. (Hum 2017) Bien que le nombre de saignements gastro-intestinaux soit comparable dans les deux groupes (4 dans cohorte traditionnelle vs 5 dans AOD), trois hémorragies intracrâniennes ont été documentées dans l'anticoagulation classique, mais aucune chez les patients traités par AOD. Comparée à l’anticoagulothérapie traditionnelle, les AOD avaient un délai plus long entre le début du traitement et un événement hémorragique majeur. Toutefois, il est important de noter que les auteurs ne précisent pas si les saignements majeurs dans le groupe anticoagulation traditionnelle sont survenus chez des patients sous anti-vitamine K avec un RNI suprathérapeutique. Il est à retenir que le taux de survenu de saignements dans le groupe AOD est rassurant. En ce qui concerne l’efficacité du traitement, le taux de thrombose récurrente était similaire entre les groupes à l’étude (un épisode dans chaque groupe). Aucun AVC ou progression de la TVP n’a été observé durant l’étude. (Hum 2017)
Dans une série de cas de 94 patients dont 36 souffraient de cirrhose, des AOD ont été prescrits pour le traitement entre autres d’une TVS, une thrombose de la veine porte ou pour la prévention des AVC chez les patients souffrant de FA. Environ 83 % des patients ont reçu le rivaroxaban. (De Gottardi 2017) Les causes de cirrhose documentées étaient : l’alcool (28%), la stéatose hépatique non alcoolique (22 %), le virus de l’hépatite C (17 %) et autres (33 %). Le score moyen de Child-Pugh a été de 6 (intervalle de 5 à 8) avant et après le traitement anticoagulant. De même, le score MELD n'a pas changé significativement, passant de 10,2 à 11,3 points. La majorité des patients cirrhotiques avaient été initialement traités avec la warfarine. La durée médiane du suivi était de 15 mois chez les patients souffrant de cirrhose comparativement à 26,5 mois chez les sujets non-cirrhotiques. (De Gottardi 2017) Bien que les indications de l’anticoagulation étaient similaires chez les patients avec ou sans cirrhose, les patients cirrhotiques ont reçu des doses plus faibles d’AOD (rivaroxaban 5 - 20 mg/jour) comparativement aux patients non cirrhotiques (rivaroxaban 10 - 20 mg/jour). Parmi les patients souffrant d’insuffisance hépatique, seulement 36 % ont reçu la dose thérapeutique recommandée d'anticoagulant, contrairement à 71 % des patients non cirrhotiques. Des effets indésirables ont été rapportés chez 17 % des patients, dont 1 cas de thrombose de la veine porte récidivante et 5 cas de saignement (hémorragies gastro-intestinales). (De Gottardi 2017) Les AOD ont été cessés chez 2 patients qui ont saigné et ont été remplacés par une HBPM. Malgré les limitations de cette étude, les auteurs concluent que l'utilisation des AOD (y compris le rivaroxaban) chez les patients atteints de TVS et/ou de cirrhose semble être efficace et sécuritaire.
Scheiner et collaborateurs ont évalué l'impact de l’anticoagulation dans la régression de la thrombose de la veine porte ainsi que dans l’amélioration de l’inflammation et la fonction hépatique chez 51 patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. Dans cette étude rétrospective, 10 patients dont 3 cirrhotiques ont été traités avec des AOD (y compris le rivaroxaban) pour une TVS. La cause principale de la cirrhose des patients inclus dans l’étude était l’abus d’alcool (47,1 % des patients). Bien que les proportions des scores Child chez les patients avec cirrhose étaient bien distribuées (14 Child A, 19 Child B et 18 Child C) au diagnostic de la TVS, le score Child-Pugh des patients recevant chacun des AOD n’était pas précisé. Parmi les patients traités par AOD, 20 % ont reçu le rivaroxaban (10 mg DIE). (Scheiner 2018) Le passage à un AOD était entrepris majoritairement afin de prévenir la progression de la TVS et d'améliorer la microcirculation splanchnique, intestinale et hépatique. L’évaluation de l’efficacité des AOD par rapport à l’anticoagulothérapie traditionnelle n’a pas été réalisée. Au cours de la durée du traitement (suivi médian de 9,2 mois), aucun événement hémorragique (saignement secondaires à une gastropathie hypertensive portale) n’est survenu dans le groupe sous anticoagulothérapie conventionnelle, tandis qu’un épisode hémorragique est survenu chez les patients traités par AOD. Concernant l’efficacité des AOD, la régression ou résolution de la thrombose de la veine porte a été rapportée chez 20 % des patients sous AOD (2 patients) et la thrombose de la veine porte est demeurée stable chez 80 % des patients de ce sous-groupe (8 patients). Étant donné que l’anticoagulothérapie (y compris les AOD) semble sécuritaire et associée à des taux supérieurs de régression ou résolution de la thrombose de la veine porte, tout en améliorant l’inflammation et la fonction hépatique, les auteurs concluent que l’utilisation de l’anticoagulation peut être envisagée chez les patients cirrhotiques souffrant de thrombose de la veine porte non maligne. (Scheiner 2018)
Dans le résumé de Kunk et collaborateurs, l’utilisation des AOD a été évaluée de manière rétrospective pour toutes les indications confondues. Au total, 69 patients cirrhotiques ont été inclus dans leur analyse (l’indication de l’anticoagulation était la FA pour 22 patients et les événements thromboemboliques pour 47 patients). L’âge médian était de 73 ans, 77 % des patients étaient de sexe masculin et les étiologies les plus communes de la cirrhose était la stéatose hépatique non-alcoolique (66 %) et le virus de l’hépatite C (22 %). Le stade de la cirrhose était de Child A pour 33 patients, Child B pour 26 patients et Child C pour 10 patients. Il est intéressant de noter que 52 % des patients présentaient des varices oesophagiennes. Vingt-cinq patients (36 %) ont reçu du rivaroxaban. La dose n’était pas rapportée et la sévérité de la cirrhose de ce sous-groupe n’était pas précisée. La durée médiane de l’anticoagulation était de 6 mois. Concernant l’efficacité de la thérapie, aucun patients recevant un AOD en contexte de FA n’a souffert d’événement thromboembolique. Pour les patients traités pour une TEV, il y a eu résolution de l'événement dans 81 % des cas. En contrepartie, chez 13 % des patients, le caillot est demeurée inchangé et dans 6 % des cas il y a eu progression du caillot à de l’imagerie de contrôle. Pour ce qui est de l’innocuité, 16 patients ont souffert d’une hémorragie, dont 8 cas d’hémorragie de grade 3 ou plus (principalement des cas d’hémorragies gastro-intestinales, ainsi qu’un cas d’hématome sous-dural). Aucun saignement variciel n’a été observé au cours de l’étude. Les cas de saignement majeurs ont été rapportés chez des patients souffrant de cirrhose modérée à sévère [4 cas chez des patients Child B (15 % des patients Child B) et 4 cas chez des patients Child C (40 % des patients Child C)]. Dans ces cas, 3 patients prenaient du rivaroxaban. Aucune atteinte hépatique d'origine médicamenteuse n’a été observée durant l’étude. Les auteurs concluent que l’utilisation des AOD devraient se faire avec précaution chez les patients souffrant d’insuffisance hépatique modérée et sévère étant donné le risque hémorragique associé. (Kunk 2016)
Dans une autre étude rétrospective, Lee et collaborateurs ont évalué l'efficacité (survenu d’un AVC ischémique ou d’une embolie systémique) et l'innocuité (épisodes d’hémorragie intracrânienne, de saignement gastro-intestinal majeur et/ou de tous les types de saignements majeurs) des AOD, y compris le rivaroxaban, comparativement à la warfarine chez des patients cirrhotiques souffrant de FA. La durée moyenne du suivi était de 1,13 ans pour les patients recevant un AOD comparativement à 1,3 ans pour ceux sous warfarine. (Lee 2019) Les patients ont également été divisés en deux sous-groupes selon l’étiologie de la cirrhose (alcoolique vs. non alcoolique) et le stade de la maladie (avancée vs. non avancée). Cependant, le score Child-Pugh des patients n’a pas été précisé. L’insuffisance hépatique avancée a été définie comme étant les patients cirrhotiques présentant l’une des complications suivantes : ascite, encéphalopathie hépatique, péritonite bactérienne spontanée et/ou saignements des varices œsophagiennes. Les comorbidités des patients étaient, entre autres : hypertension, diabète, dyslipidémie, IRC, ICC, antécédent d’AVC. Les groupes étaient bien équilibrés pour toutes les caractéristiques (comorbidités, scores CHA2DS2-VASc et HAS-BLED). (Lee 2019) Parmi les 2428 patients inclus dans leur analyse, 1438 ont reçu un AOD (dont 271 présentaient une cirrhose avancée) et 990 ont été mis sous warfarine (dont 143 avaient une cirrhose d’origine alcoolique et 273 présentaient une cirrhose avancée). L’analyse de sous-groupe n’a montré aucune hétérogénéité parmi les trois groupes des patients recevant différents AOD en ce qui concerne les caractéristiques de base des participants (âge, scores moyens CHA2DS2-VASc et HAS-BLED, comorbidités à l’exception de l’IRC, histoire des saignements, utilisation d’un AINS et/ou d’un IPP). Au total, 27 % des utilisateurs d’un AOD avait déjà pris la warfarine. Environ 732 patients ont reçu le rivaroxaban, dont 697 ont pris une dose réduite (rivaroxaban 10 - 15 mg DIE), alors que seulement 35 ont pris la dose standard (rivaroxaban 20 mg DIE). Ainsi, la majorité des patients (95,2 %) ont reçu une dose de rivaroxaban plus faible que celle recommandée pour la prévention de l’AVC et de l’embolie systémique chez les patients présentant une FA et avec fonction rénale normale (soit, rivaroxaban 20 mg DIE).
Dans le groupe des patients traités par rivaroxaban, l’âge moyen était de 74,68 ans ; 61,34 % étaient de sexe masculin ; les scores moyens CHA2DS2-VASc et HAS-BLED étaient de 3,9 ; 4,78 % avaient un antécédent de saignement ; 26,91 % et 19,81 % prenaient un AINS et un IPP respectivement. (Lee 2019) Le risque cumulatif d’AVC ischémique ou d’embolie systémique était similaire pour les patients recevant un AOD comparativement à ceux sous warfarine. L’incidence annuelle de ces paramètres d’efficacité était de 3,2 % et de 3,7 % chez les patients recevant un AOD et la warfarine respectivement. Les risques d’hémorragie gastro-intestinale majeure et les saignements majeurs de toute cause étaient significativement plus faible chez les patients traités par un AOD par rapport à ceux recevant la warfarine [HR = 0,51 (IC 95 % : 0,32 – 0,79) et HR = 0,51 (IC 95 % : 0,32 – 0,74) respectivement)]. L’incidence annuelle de saignement gastro-intestinal majeur et de tous les saignements majeurs était de 1,9 % et de 2,9 % respectivement dans le groupe recevant un AOD. En comparaison, ces paramètres d’innocuité était significativement plus élevés chez les patients sous warfarine (3,6 % par année et 5,4 % par année, respectivement). Cependant, l’incidence annuelle d’hémorragie intracrânienne était comparable entre les patients traités par un AOD (1 %) et ceux recevant la warfarine (1,6 %). De plus, l'analyse du sous-groupe a montré que le rivaroxaban présentait un risque significativement plus faible de saignement gastro-intestinal majeur [1,6 % vs. 3,8 % par an ; HR = 0,38 (IC 95 % : 0,20 – 0,72)] et de tous les saignements majeurs [2,3 % vs. 5,7 % par an ; HR = 0,38 (IC 95 % : 0,23 - 0,65)] que la warfarine. (Lee 2019) Chez les patients présentant une cirrhose d’origine alcoolique, les risques d’événements thrombotiques et de saignements majeurs dans le groupe sous AOD étaient comparables à ceux de la warfarine. Cependant, les patients souffrant d’une cirrhose d’origine non-alcoolique et recevant un AOD avaient un risque plus faible de saignement gastro-intestinal majeur (HR = 0,40 ; IC 95 % : 0,24 – 0,68) et d’hémorragies majeures (HR = 0,45 ; IC 95 % : 0,29 – 0,69) que ceux prenant de la warfarine. En ce qui concerne le stade de la maladie hépatique, les patients présentant une cirrhose non avancée sous AOD avaient un risque moins élevé de saignement gastro-intestinal majeur (HR = 0,45 ; IC 95 % : 0,26 – 0,78) et d'hémorragies majeures (HR = 0,51 ; IC 95 % : 0,33 – 0,79) que ceux sous warfarine. En revanche, chez les patients présentant une cirrhose avancée, il a été noté que le groupe traité par un AOD avait un risque plus faible d’hémorragie intracrânienne (HR = 0,17 ; IC 95 % : 0,03 – 0,96) par rapport au groupe sous warfarine. Étant donné que le profil d’efficacité des AOD (y compris le rivaroxaban) était similaire à celui de la warfarine et que les événements hémorragiques majeurs étaient significativement moins importants dans le groupe traité par AOD, les auteurs concluent qu’une thromboprophylaxie avec une faible dose de rivaroxaban peut être envisagée chez les patients cirrhotiques souffrant de FA non valvulaire, particulièrement chez ceux présentant une insuffisance hépatique sans complications et d’origine non alcoolique. Cependant, ils indiquent que des études prospectives supplémentaires sont nécessaires pour mieux évaluer l'efficacité et l'innocuité des AOD (y compris le rivaroxaban) comparativement à la warfarine dans la population cirrhotique. (Lee 2019)
Une étude contrôlée à répartition aléatoire a comparé prospectivement l’utilisation du rivaroxaban à la warfarine dans le traitement de la thrombose de la veine porte dans un contexte post-opératoire de splénectomie chez des patients avec cirrhose compensée (Child A et B). Dans cette étude de 80 patients traités d’abord par 3 jours d’énoxaparine à doses thérapeutiques, l’utilisation du rivaroxaban a été associée à un meilleur taux de résolution du thrombus (85 vs 45 %) avec moins de saignements digestifs (0 vs 7) et un profil d’effets indésirables favorable. (Hanafy 2018)
Bien qu’il s’agisse d’un des AOD pour lequel l’expérience en cirrhose avec une expérience publiée relativement grande, les données concernant l’utilisation du rivaroxaban en présence d’insuffisance hépatique légère semblent rassurantes, mais demeurent très minces. Plusieurs détails sont manquant dans les études rétrospectives évaluant leur efficacité et innocuité chez les patients cirrhotiques. De plus, son utilisation à long terme ne semble pas avoir été étudiée convenablement. Aucun ajustement posologique n'est nécessaire chez les patients Child A en raison de l’effet négligeable de la cirrhose légère sur les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques du médicament. Cependant, l’utilisation du rivaroxaban serait à éviter chez les patients présentant une insuffisance hépatique Child B en raison de l’influence significative de la cirrhose modérée sur les paramètres pharmacocinétique et pharmacodynamique du médicament. En outre, les anomalies de la coagulation en présence de cirrhose modérée constituent un facteur de risque supplémentaire de complications hémorragiques chez cette population.
Étant donné que la pharmacocinétique du rivaroxaban n’a pas été évaluée chez les sujets présentant une insuffisance hépatique sévère (Child - Pugh C) et que de désordres intrinsèques dans les mécanismes de la coagulation sont généralement présentes chez cette population, l’utilisation du rivaroxaban est à éviter chez les patients Child - Pugh C en attendant la publication de données à ce sujet.
Le risque hémorragique doit évidemment être évalué pour chaque patient en fonction de ses caractéristiques et comorbidités. Il faut se rappeler que l’antidote du rivaroxaban n’est pas disponible au Canada pour le moment et qu’il n’est donc pas possible de renverser efficacement et prévisiblement son effet en présence d’un saignement.